Revivre l'affaire Dreyfus au collège

J'ai été dernièrement enthousiasmé par le résultat d'une petite expérience faite en classe. C'était en fait un projet qui me trottait depuis longtemps dans la tête sans que je sache bien comment le concrétiser : utiliser le jeu de rôle pour travailler un chapitre d'histoire. 


Création du projet


Mes contraintes étaient les suivantes : ça doit tenir sur une heure de cours, impliquer les 30 élèves d'une classe, installer des connaissances en rapport avec le chapitre en cours et garder un vrai aspect ludique tout en étant abordable par des béotiens découvrant l'univers du JDR. Je me suis vite rendu compte qu'elles étaient difficilement conciliables ! 


J'ai d'abord envisagé de couper dans le nombre : quelques élèves passent devant la classe pour un jeu de rôle sur un thème, les autres doivent repérer des indices et noter des ponts importants sur une feuille, pour ensuite débriefer. Mais la mise en place ne me semblait pas encore évidente.


Par chance, mon chef d'établissement était lui-même rôliste et ouvert à des expériences pédagogiques originales. Je suis allé en discuter avec lui. Nous sommes finalement convenus que pour une première c'était petit être le facteur temps qu'il fallait sacrifier. Je sortais songeur de cette conversation mais une idée commençait à mûrir. Et pourquoi pas embarquer les élèves dans une aventure de fin d’année autour de l’affaire Dreyfus ? 


Membre des Amis du Musée de la Grande Guerre, et plus particulièrement du groupe de médiation par le jeu d'histoire, j'ai participé à l'animation du salon du jeu d'histoire. Depuis deux ans, une association de JDR y anime des tables historico-fantastiques autour de la première guerre mondiale. Je les ai contactés et ils m’ont orienté vers l’association « les clefs du rêve ».
Diane Bruez, co-présidente de l’association, s’est aussitôt emparée du projet. Elle m’a mis en relation avec Balthazar Despallières, MJ professionnel. Il a été enthousiasmé par l’idée et nous avons pu collaborer sur sa concrétisation. 


Il est très vite apparu que le sacrifice de la contrainte de temps serait inévitable. Trois heures nous semblaient une base raisonnable de travail pour une activité de cette ampleur. S’est ensuite posée la question du nombre de tables de jeu. En effet il faudrait un MJ par table … Que faire ? Former des élèves ? Cela demanderait beaucoup de temps et une supervision importante. Balthazar a alors proposé d’associer deux élèves pour chaque personnage. J’ai souvent pratiqué la mise en équipe pour les jeux d’histoire, mais je n’y avais pas pensé dans le cadre d’un JDR. Nous avons donc misé sur trois tables à six ou sept personnages, soit une douzaine d’élèves par table. Balthazar tiendrait l’une de ces tables, je prendrais la seconde et mon chef d’établissement acceptait de s’occuper de la troisième. 


Réfléchissant sur le scénario, nous avons choisi que chaque équipe enquêterait sur une partie de l’affaire Dreyfus après la première condamnation de Dreyfus et l’évincement de Picart, lorsque le vice-président du Sénat, Auguste Scheurer-Kestner, s’empare de l’affaire. Une première équipe de militaires enquêtera sur Esterhazy, une deuxième composée d’assistants du vice-président, d’enquêteurs et de « gros bras » enquêtera sur le bordereau et enfin une équipe de journalistes Dreyfusards s’intéressera au colonel Henry et à son « petit bleu ».


Simulation ou jeu ? Question on ne peut plus classique, elle s’est quand même posée à nous de manière très précise. Jusqu’à quel point coller à la réalité historique ? Le meilleur exemple est la féminisation des personnages. En effet, que faire dans une société essentiellement masculine ? Nous avons opté pour deux solutions. La première est issue d’un travail de recherche de Balthazar qui s’est occupé de trouver des femmes journalistes importantes de l’époque susceptibles de s’être intéressés à l’affaire. C’est ainsi qu’entre autre Marguerite Durand, fondatrice de la Fronde, s’est lancé dans l’enquête. La seconde solution a été d’utiliser cette masculinisation importante des protagonistes pour revenir sur le cours effectué plus tôt dans le trimestre à propos de la condition féminine dans la troisième république. Des femmes combattent pour leurs droits, notamment par le journalisme, pendant qu’elles restent très absentes d’autres domaines comme l’armée ou la politique.


Après un bon mois de travail nous y étions. Balthazar nous avait envoyé des fiches de scénario détaillées, un corpus de règles simplifiées à base de dés à 20 faces et des fiches personnages efficaces. 


Nous nous retrouvons à 08h00 dans une grande salle prêtée pour l’occasion au collège. Nous installons les trois tables de jeu, prenons connaissance des outils et documents de nos parties… et accueillons les élèves !


Dans l’ensemble ils ont été ravis de l’expérience. La discipline a été assez simple à gérer et l’activité s’est déroulée sans heurt. A 12h30, les élèves quittaient la sale, enthousiastes et rêveurs. Alors quel bilan de cette matinée ? 


Bilan ludique


Du point du vue ludique tout s’est très bien passé. Les élèves ont bien compris le système, ils ont découvert le plaisir de lancer les D20 et d’imaginer leurs aventures. Le système avait été imaginé par Balthazar et laissait une grande latitude au MJ. Peut être nous a -t-il manqué d’éléments de contextualisation (décors, images, cartes etc.) afin que les élèves puissent bénéficier d’une ambiance plus immersive. De même j’investirai davantage dans des pions symbolisant les blessures, les objets à disposition et les personnages pour le plateau de MJ afin de mieux se situer dans l’espace. Je travaille également sur un système de règles plus complet et en même temps tout aussi « passe partout » afin de pouvoir jouer un grand nombre d’époques sans grosses adaptations à faire. Ce système devra également faire la part belle à la narration afin d’encourager la prise de parole des élèves.


Bilan didactique


Le travail de préparation s’est fait en classe, par le biais du chapitre sur le IIIème République. Nous avons vu la place centrale de l’armée dans la toute jeune République  et la montée de l’antisémitisme. La reprise didactique s’est faite le lundi suivant. Dernier jour de classe, je n’ai infligé qu’un court travail de reprise, mais qui m’a beaucoup surpris. Le bilan du questionnaire était assez éloquent : plus de la moitié de la classe était capable de citer les grandes étapes, les éléments centraux et les personnages principaux de l’affaire Dreyfus. Nous avons ensuite repris l’affaire point par point à l’oral en en explicitant les enjeux. Ce bilan est pour moi très positif : au-delà du jeu, les objectifs didactiques implicites ont été plutôt bien remplis. 
Pour les prochaines fois, j’essaierai d’être bien plus structuré et clair dans mes objectifs didactiques afin de pouvoir mieux encore les mettre au cœur du jeu. La prise didactique devra également faire l’objet d’une trace écrite afin de fixer les acquis.


Perspectives


J’ai rempli un grand nombre de mes objectifs mais reste le problème de la durée. Trois heures prises dans l’emploi du temps pour du jeu de rôle, cela ne peut que rester exceptionnel. Je vais donc continuer à travailler sur des solutions pour faire tenir cela sur une heure pour des séances plus courtes et efficaces. 


Conclusion


Je pense donc transformer l’essai en continuant à travailler sur l’outil didactique très prometteur qu’est le jeu de rôle en histoire-géographie. Pourquoi pas deux grandes séances l’an prochain sur le modèle de celle exposé dans cet article, en commençant à tester des séances plus courtes lorsque j’aurais abouti un modèle envisageable.